Les lecteurs de La découvreuse connaissent mon goût de la calligraphie latine. Cette discipline, que j’ai expérimentée grâce à un heureux concours de circonstances et que je pratique régulièrement depuis des années, m’avait jusqu’alors tenue en lisière d’autres formes de calligraphie. Dont la calligraphie chinoise. Eh bien, ce n’est plus le cas ! Me voilà plongée depuis peu dans cet art ancestral et c’est avec l’humilité de la débutante que je vais vous partager cette découverte toute récente.
Quand la curiosité s’affranchit de la raison…
Tout d’abord, pour l’anecdote, voici comment j’en suis venue à expérimenter la calligraphie chinoise. Tout commence toujours, pour cette discipline comme pour toutes mes passions, par un “Tiens, et si…” Ma plume Baignol à la main, prête à commencer une nouvelle calligraphie latine, je me dis soudain : “Tiens, et si je me lançais dans la calligraphie chinoise ?” Oui, mais concrètement, je fais quoi ? Un simple signe ? Mais non, voyons, carrément un poème. Me voilà des heures durant à chercher un poème en chinois qui me conviendrait. Il y en a des superbes… mais aucun qui exprime ce que je souhaite. Car voilà, entre-temps, j’ai songé à faire d’une pierre deux coups. Je veux dire quelque chose à travers cette calligraphie.
L’affaire devient complexe. Après bien des recherches et des maux de tête, je me rends à l’évidence : je n’ai pas trouvé le poème idéal. Qu’à cela ne tienne ! La petite voix resurgit : “Tiens, et si je l’écrivais, ce poème ?” A ce stade, mon cerveau se scinde en deux. Ma curiosité fofolle se lance gaiement dans l’écriture d’un poème, avec la ferme intention de le traduire en chinois par la suite ; mon côté raisonnable est plié de rire, vu que je n’ai jamais fait de chinois de ma vie.
Ce que cela a donné ? Je vous en parle en fin d’article…
Plongée dans les origines de la calligraphie chinoise
La calligraphie chinoise est une tradition millénaire profondément ancrée dans la culture et l’histoire du pays. En fait, elle est née en même temps que l’écriture chinoise elle-même, il y a plus de 3 000 ans, à l’époque de la dynastie Shang. À l’époque, les premiers caractères étaient gravés sur des os ou des carapaces de tortues, lesquels servaient essentiellement à la divination – rien à voir avec nos stylos-plume ou nos pinceaux sophistiqués ! Pourtant, cette idée d’unir l’écriture à une forme d’art a été préservée et magnifiée au fil des siècles, jusqu’à devenir une pratique artistique à part entière.
Vers 800 avant notre ère, les Zhou occidentaux cataloguèrent plus de mille caractères. Cette première tentative d’unification de l’écriture chinoise, destinée à l’administration et à la cour, ne connut pas l’influence souhaitée. Il faut attendre le troisième siècle avant J.C. pour que cette écriture soit réellement structurée, sur l’impulsion de l’empereur Qin Shi Huangdi. Un manuel de 3000 signes fut édité, que les scribes et les lettrés avaient ordre d’utiliser. Cette méthodologie de l’écriture (épaisseur des traits, taille égale des caractères, lesquels sont inscrits dans un rectangle virtuel) est toujours utilisée de nos jours.
Les spécificités de la calligraphie chinoise
Ce qui m’a immédiatement frappée, c’est à quel point la calligraphie chinoise diffère de sa consœur latine. Si, dans cette dernière, on cherche avant tout à obtenir une belle régularité des formes et des courbes, la calligraphie chinoise, elle, se concentre beaucoup plus sur le geste. Chaque trait compte. La manière dont la main, le bras, et même le corps tout entier bougent fait partie intégrante de l’art. Ce n’est pas seulement ce qu’on écrit, mais comment on l’écrit.
J’ai découvert en outre qu’il existe plusieurs types de calligraphies : caractères de sceaux chuan-shu, écriture des scribes li-shu, écriture régulière kai-shu, écriture semi-cursive ou courante hsing-shu et écriture d’herbe ou cursive tsao-shu. Je ne vais pas toutes les décrire, ce serait long. Pour ma part, je me suis focalisée sur l’écriture régulière, qu’il me faut encore maîtriser (j’en suis loin) avant de m’essayer aux autres écritures, plus fluides et rapides.
Quant à la calligraphie japonaise, qui m’intriguait aussi, il est vrai qu’elle partage certaines bases avec la calligraphie chinoise. En fait, l’écriture japonaise a été fortement influencée par les caractères chinois, notamment les kanji, qui sont toujours utilisés dans le japonais moderne. Toutefois, la calligraphie japonaise, qu’on appelle « shodō », diffère par plusieurs aspects. Elle intègre aussi des syllabaires propres au japonais, comme les hiragana et katakana, qui n’existent pas en chinois. Là où la calligraphie chinoise est souvent plus complexe et empreinte d’une grande tradition historique, la calligraphie japonaise me semble parfois plus simple dans sa forme, mais tout aussi précise dans le geste.
En bref, bien qu’elles aient des racines communes, les deux disciplines sont assez distinctes. La calligraphie japonaise a évolué en intégrant d’autres éléments et styles, tandis que la calligraphie chinoise reste davantage concentrée sur le caractère ancestral des idéogrammes. Pour moi, cette richesse de styles entre les deux cultures est un vrai terrain de découverte.
Le matériel essentiel pour débuter en calligraphie chinoise
Tout en explorant l’histoire et les spécificités de la calligraphie chinoise, j’étais impatiente de m’y exercer. Mais avant de pouvoir me lancer dans mes premiers traits, il a fallu m’équiper correctement. Contrairement à la calligraphie latine, où j’utilise principalement une plume métallique, cela nécessite un tout autre matériel.
Le matériel de base se compose de ce qu’on appelle les « Quatre Trésors du Cabinet du Lettré » (文房四宝 – wén fáng sì bǎo). Le voici détaillé ici (et je vous avoue en passant que j’ai un peu triché).
Le pinceau (毛笔 – máo bǐ)
Le pinceau est, sans surprise, l’élément central. Il existe en plusieurs tailles et avec différentes sortes de poils (classiquement, de loup ou de chèvre) selon l’effet recherché. Je me suis procurée un pinceau de taille moyenne, en poils de chèvre, mais son manque de souplesse m’a dérangée. Je vous conseille donc, même si ce n’est pas traditionnel, le pinceau Graduate rond 6 de Daler Rowney en poils synthétiques de poney. Il est très bien pour débuter. Je me suis aussi offert le pinceau Raphaël précision n°3 en poils de martre, mais je ne l’ai pas encore testé. A la fin de votre travail, n’oubliez pas de le nettoyer soigneusement à l’eau chaude.
2. Le bâton d’encre (墨 – mò)
Contrairement à l’encre déjà prête qu’on peut acheter pour la calligraphie latine, en calligraphie chinoise, on utilise traditionnellement un bâton d’encre solide. Il faut frotter ce bâton sur la pierre à encre avec un peu d’eau pour obtenir une encre liquide. Vous en trouverez dans différentes boutiques spécialisées, notamment ici.
3. La pierre à encre (砚台 – yàn tái)
La pierre à encre est là pour accueillir le bâton d’encre. Elle a généralement une petite cavité où l’on frotte le bâton avec de l’eau pour créer l’encre. Elle existe dans toutes sortes de formes et de tailles, toujours en boutiques spécialisées.
J’entends que le processus de fabrication de l’encre fait partie de l’expérience. Le fait de préparer son encre permet de se plonger progressivement dans la pratique. Et je vous promets d’essayer prochainement. Mais là, pour mes débuts… j’avoue, je me repens, je me répands : j’ai triché. Et j’ai pris de l’encre de Chine toute prête. Inutile de me frapper avec vos pinceaux en poils de loup !
4. Le papier (宣纸 – xuān zhǐ)
En calligraphie chinoise, on utilise du papier de riz, appelé « xuān zhǐ », qui est extrêmement absorbant, ou encore du papier wenzhou. Autant dire qu’il ne laisse pas droit à l’erreur : une fois que l’encre touche le papier, il est presque impossible de corriger ! Ce papier permet aux traits de l’encre de s’étendre naturellement et donne des effets magnifiques si l’on maîtrise bien le geste. Mais pour une débutante comme moi, cela demande une certaine patience (et quelques feuilles de papier sacrifiées dans le processus). De plus, c’est un papier très fin : protégez votre table ou votre sol.
Et encore une fois, vous allez dégainer vos pinceaux et m’attaquer avec vos rouleaux de papier : j’ai encore triché. Enfin, pas tout à fait ! J’ai utilisé le papier wenzhou dans un premier temps… Puis j’ai dérivé vers un papier plus épais et moins absorbant. Promis, je reviendrai au wenzhou ensuite !
Pour compléter ce matériel
En sus des « Quatre Trésors du Cabinet du Lettré », je vous conseille quelques fournitures complémentaires :
- une palette déchirable, qui permet de poser votre pinceau sans en mettre partout (on en trouve à Action pour des clopinettes)
- un cutter pour couper le papier wenzhou
- une règle, pour tracer les limites de vos caractères
- un crayon à papier (c’est bête, mais c’est pratique)
- une protection pour votre table ou votre sol
- une musique relaxante (je carbure aux musiques du studio Ghibli)
- un café (ou un thé, un chocolat, mais loin de votre papier, par contre)
Les premiers essais
Prête à plonger dans l’univers de la calligraphie chinoise ! Avec une appréhension tout de même : je n’ai jamais su utiliser convenablement un pinceau. Il m’a donc fallu un peu de temps pour l’apprivoiser.
La verticalité du pinceau : un nouveau défi
Contrairement aux outils de la calligraphie latine, que je maîtrise bien, le pinceau demande une tout autre approche. Il n’y a pas de point de contact fixe comme avec une plume : tout est dans le mouvement fluide, la pression variable et la gestion du geste dans son ensemble. Traits trop épais, trop fins, ou carrément tremblotants : forcément, mes premiers caractères sont hésitants.
En calligraphie chinoise, il est traditionnellement recommandé de tenir le pinceau de manière presque verticale, en le pinçant entre le pouce et l’index, sans trop le serrer. La verticalité donne au pinceau cette souplesse qui permet de jouer avec l’épaisseur des traits, mais au début, j’avais l’impression de perdre le contrôle. Les lignes ne suivaient pas la direction que je voulais. En revanche, cela nécessite de se concentrer sur l’instant présent, et chaque erreur devient une leçon.
Les premiers caractères : de la beauté du chaos naît la discipline
Je n’ai rien fait comme tout le monde. Si vous avez plus de patience que moi, faites ce que tout le monde vous conseillera : entraînez-vous sur les caractères les plus simples ou sur celui de l’infini, qui regroupe à lui seul plusieurs défis. Si je vous le conseille, c’est bien entendu parce que je ne l’ai pas fait moi-même ! De même, pour la forme, la direction ou encore l’épaisseur du trait, vérifiez comment il faut le faire. Vous n’êtes pas obligé de faire tous vos caractères intuitivement (oui, comme moi, en fait).
Un ami m’a conseillé l’application Pleco, c’est un dictionnaire anglais-chinois, mais il donne aussi beaucoup d’autres indications, notamment sur l’écriture. Elle est gratuite, profitez-en !
Forcément, le résultat est joli de loin, mais nécessitera beaucoup d’entraînement avant d’être maîtrisé. Ces erreurs ne sont pas graves, au contraire. Elles sont nécessaires pour apprendre. Il est très satisfaisant de progresser, même lentement. De plus, cela m’a appris de nouvelles choses sur mon écriture. Je suis bien incapable de la qualifier clairement, mais je reconnais une part de moi dans cette écriture, différente de celle quand j’écris en français.
La calligraphie chinoise, plus qu’un art visuel
La calligraphie chinoise dépasse le simple fait de “bien écrire”. En Occident, on a tendance à associer la calligraphie à une recherche de la beauté formelle, de la régularité, ou même de la virtuosité. Mais dans la tradition chinoise, la calligraphie est bien plus profonde que cela. Elle est intimement liée à la philosophie, à l’état d’esprit et à l’énergie vitale du calligraphe.
Une méditation en mouvement
Finalement, ce qui m’a le plus marquée lors de ces premières séances, c’est à quel point la calligraphie chinoise est une discipline qui oblige à ralentir. Chaque caractère, même les plus simples, demande un soin particulier, et l’ensemble est incroyablement apaisant. C’est là que la calligraphie chinoise se transforme en une méditation en mouvement. Chaque geste exige une pleine attention. Impossible de se laisser distraire ou de se précipiter. En fait, c’est l’art de ralentir et de vivre pleinement l’instant présent. Mes séances de calligraphie sont des parenthèses où je peux me recentrer. Et j’en ressors avec une sérénité à toute épreuve (qui s’accorde très bien avec le kung-fu hebdomadaire).
L’union du corps et de l’esprit
J’avais déjà mentionné plus haut le rôle du geste, mais il n’est pas simplement technique : il doit venir de l’intérieur. Le corps tout entier participe à la création d’un caractère. Chaque mouvement de pinceau est une expression directe de mon énergie. Lorsque je suis tendue ou stressée, cela se reflète immédiatement sur le papier : les lignes sont plus rigides, ma main tremble. À l’inverse, quand je suis détendue, en phase avec moi-même, les traits sont plus fluides et naturels.
La spontanéité dans la maîtrise
La calligraphie chinoise valorise l’expression individuelle. Chaque calligraphe, même en écrivant les mêmes caractères que des milliers d’autres avant lui, les interprète d’une manière unique. Le caractère peut rester le même sur le plan formel, mais c’est l’énergie, l’émotion, et la personnalité du calligraphe qui transparaissent à travers le geste. C’est un peu comme si l’écriture devenait un autoportrait de l’âme à un instant donné.
Cela m’a fait réfléchir, car dans la calligraphie latine, on est souvent concentré sur la perfection des formes, l’uniformité. Mais ici, la perfection réside presque dans l’imperfection. Est-ce le caractère parfait qui est recherché ou celui qui “vit” ? Cette idée m’a libérée d’une certaine pression que je mettais sur mes propres gestes. À travers la pratique, j’ai commencé à accepter que chaque trait est unique, et qu’il raconte quelque chose de moi, même quand ce n’est pas parfait. Un œil connaisseur verra peut-être dans mes premières calligraphies mon émotion du moment…
Et Le résultat ?
Vous connaissez l’adage : elle ne savait pas que c’était impossible, alors elle l’a fait. Ne trouvant pas le poème qui exprimait mon sentiment du moment, je l’ai écrit. Enfin, plus exactement, j’en ai écrit 28. Oui, 28 poèmes courts. En français pour commencer, puis j’ai cherché à les traduire. Je le redis, je n’ai jamais fait de chinois (certes, j’ai étudié le japonais un an, mais c’était il y a longtemps et ça n’a rien à voir). Après plusieurs heures à faire des traductions approximatives, j’ai jeté l’éponge et confié cela à l’œil expert d’une traductrice native de Hong Kong. Elle a fait un travail formidable en chinois traditionnel et je l’en remercie profondément.
Sur 28 poèmes, 11 ont été traduits. Sur ces 11 poèmes, j’en ai calligraphié 8. En voici 6 juste en dessous. Ils se lisent de haut en bas et de droite à gauche. Pour ceux qui lisent le chinois traditionnel, j’espère que vous les apprécierez (au-delà des maladresses calligraphiques d’une grande débutante).
Et après ? Mon voyage ne fait que commencer
Même si je ne suis encore qu’au tout début de mon apprentissage, je sens déjà que la calligraphie chinoise va m’accompagner pendant un bout de chemin. Ce qui a commencé comme une curiosité s’est transformé en une véritable fascination, et chaque séance, aussi imparfaite soit-elle, me rapproche un peu plus de ce que cet art a à offrir.
Mon premier objectif est de travailler davantage les bases, quitte à reprendre ces premières calligraphies. Je compte aussi explorer d’autres styles de calligraphie chinoise, comme le style cursif, qui est beaucoup plus fluide et expressif. Il y a dans le cursif une liberté créative qui demande tout de même une grande maîtrise. Bien sûr, je vais aussi tenter de préparer mon encre moi-même, avant de me faire éborgner par un calligraphe fanatique.
Outre la calligraphie, je compte continuer ces poèmes français-chinois, avec peut-être, tout au bout, un recueil de poésie bilingue sous un nouveau nom de plume, celui que je me suis choisie 👇
Vous avez aimé cet article ? Partagez-le sur Pinterest !